Jadis, nos parents nous narraient leurs sensations de découvertes de leur jeunesse: là une odeur de cuisine, ici une texture de flore, puis parfois un son de vinyle. Ce que ceux-ci désignent comme leur madeleine de Proust, un retour à l’enfance, à la découverte, au plaisir. Notre génération X a découvert que cette madeleine peut prendre une nouvelle forme inattendue: le vidéoludique. Vivons avec notre temps et explorons un de ces jeux qui pour moi est une base solide de mon plaisir et un inépuisable gisement de souvenirs régressifs.

 Title Screen

Wonder Boy III : The Dragon’s Trap est sorti sur Master System chez nous lors de l’année 1989. Peu de temps après, je gagnais ma première console, une Master System II avec Alex Kidd intégré. Alors tout juste au collège, il ne tarda pas que je trouve un comparse, un peu plus âgé, possédant la première itération de la console avec pas mal de jeux. Parmi eux, les épisodes 2 et 3 de la saga Wonder Boy trônaient fièrement. Je ne tarderai pas à en comprendre la raison.

 meka

Lorsque le jeu s’ouvre sur Book, notre héro, partant affronter Meka à la fin de l’épisode précédent, accompagné d’une des mélodies les plus marquantes de la 8 bits de Sega. Nous partons le coeur léger parcourir ce labyrinthe afin de l’occire à jamais. Le plot twist est connu: le dragon se révèle un robot. Sans que personne ne sache ni pourquoi ni comment, nous l’expédions ad patres. Mais ce n’est pas terminé: l’apparition d’un feu follet azur à peine constatée, celui-ci fond sur nous et nous transforme en dragon, à notre tour. La voici donc, cette malédiction.

 chateau debut

Dès lors, nous n’aurons de cesse de chercher notre chemin vers des palais infestés d’ennemis pour aller défaire le boss local, espérant ainsi mettre fin au charme et retrouver notre forme humaine. En vain le plus souvent, chaque victoire ne se soldant que par une nouvelle transformation en un animal iconoclaste. Nous serons tour à tour souris, poisson, lion et oiseau, chacun ayant de nouvelles aptitudes pour nous permettre d’atteindre différents cieux. Sans dire son nom, l’ouverture de la carte, les aptitudes à débloquer et l’équipement à faire évoluer: nous sommes déjà devant un Metroidvania avant l’heure.

 aie

Car oui, nous allons devoir trouver des boutiques afin d’acquérir moyennant espèces sonnantes et trébuchantes de nouvelles épées, de nouvelles armures et de nouveaux boucliers. Ne négligeons pas une bonne séance de farm, cela pourrait considérablement nous faciliter la tâche. Nous découvrons ici également un système inédit: les points de charisme (CP). Variant en fonction non seulement de notre équipement mais en plus de notre forme animale et complétés par des pierres de charme parfois lâchées par des antagonistes morts au combat, il faudra trouver la bonne combinaison sans quoi certains vendeurs refuseront purement et simplement de nous vendre des objets de meilleure qualité. Système ingénieux partiellement gâché par le fait qu’il est purement et simplement impossible de savoir le nombre exact de points nécessaires, obligeant à fonctionner à l’aveugle. Rajoutez des armes secondaires au nombre de cinq également droppées par les ennemis, et vous avez un arsenal complet pour partir défourailler du dragon.

 maze

Comme ce fut finalement trop peu le cas, il est de ces jeux qui aiment à rappeler que la console de Sega pouvait donner des leçons à la concurrence pour peu que quelques efforts soient produits. Ainsi, la réalisation est excellente en tous points. Les graphismes sont beaux et très propres, variés et sans faute de goût. L’animation est irréprochable, rapide, sans anicroche (ralentissements ou clignotements sont rares), malgré des sprites de jolie taille, surtout les boss, impressionnants. Le tout est accompagné par des mélodies solides, aux lignes de basse fantastiques, faisant de la bande son une des plus inoubliables de cette ère.

 chateau-souris

Vu d’ici, cela ressemble à des louanges. Trop peut-être, vous direz-vous. Pourtant, le jeu a une dernière corde à son arc, la plus imparable de toute: sa jouabilité. Oubliez la lourdeur polygonale pachydermique de la 3D moderne sous couvert de réalisme ou ces moteurs physiques buggués déplorables de jeux voulant faire « comme avant » (Trine 2, c’est à toi que je pense), le jeu répond, comme il était d’usage de le dire, au doigt et à l’oeil. Touché par la grâce, aucune excuse ne pourra être servie mettant en cause le programme. La difficulté bien dosée parachève le tableau, le jeu n’étant jamais ni gratuit, ni frustrant. Seule la linéarité des palais tranche, peut-être aurait-on aimé y voir un peu plus de folie. Encore est-ce compensé par un très grand nombre de portes secrètes à trouver au gré de nos pérégrinations.

 bateau-poisson

Afin de parachever le tableau, je me dois d’évoquer les différentes versions du titre. En effet, le jeu existe également sur PC Engine (sous le nom « Adventure Island » au Japon, « Dragon’s Curse » aux USA) ainsi que sur Game Gear. Anecdote surprenante: bien que contenant la typographie de l’écran titre japonais (Monster World II) et une bande son compatible FM (une puce de modélisation sonore de meilleure qualité sortie en option sur la Mark III et intégrée à la Master System japonaise mais pas en occident), la cartouche n’est jamais sorti au Japon sur la 8 bits de Sega. Peut-être le constructeur pensait-il plus à mettre en avant sa toute nouvelle Megadrive? Toutefois, à la surprise générale, il sera inclus dans la compilation Sega Ages 2500 Volume 29 Monster World Complete Collection (PS2, 2007) permettant enfin de profiter des mélodieuses améliorations autre qu’en émulation.

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La version PC Engine est d’excellente facture. Techniquement supérieure, aussi agréable pad en main, peut-être légèrement plus facile, elle est une alternative de choix. L’itération Game Gear (sortie, elle, en revanche, au Japon) est légèrement différente: la plupart des décors ont été adaptés à la taille de la portable et souvent simplifiés afin de ne pas donner l’impression d’un simple recadrage qui aurait été injouable. Las, il arrive souvent que le temps de réaction nécessaire pour tuer un ennemi soit presque surhumain. Par soucis de simplification, cette version abandonne également les CP. Enfin, le très célèbre cochon borgne fumeur tenancier de l’église de la version Master System a également été remplacé, au grand désespoir des fans.

 cochon

Evoquons rapidement l’adaptation brésilienne déplorable réalisés par Tec Toy qui massacre allègrement le jeu en remplaçant les sprites par des héros du dessin animé Monica, mal dessinés et mal animés, et par la même occasion ruinant la quête de la recherche de la forme humaine originelle. Ce truc s’appelle Turma da Monica Em : O Resgate. Mais, croyez-moi, vous n’avez pas envie de voir ça. Jamais.

intro

Parlons enfin un peu d’avenir. Car oui, ce jeu est autant le passé que le futur, grâce à Monsieur Omar Cornut. Les plus vieux se souviendront que sur la page de son émulateur Master System MEKA il tentait il y a quelques années de promouvoir une pétition pour le retour de la licence, en vain. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, le voilà parti chapeauter un projet de remake en collaboration étroite avec Ryuichi Nishizawa, à qui on doit la version originale, rien que ça. De reverse-engineering en modernisation, nous sommes nombreux à attendre impatiemment le résultat final, qui, à n’en pas douter, sera à la hauteur de la légende de son ainé. En tout cas, moi, j’y crois…

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